Lors d’un repas familial, j’observais mon père qui semblait en symbiose avec sa pointe de tarte au sucre. J’aurais pu lui dire que c’était trop sucré ou pas assez cela, mais j’ai plutôt préféré lui demander pourquoi il aimait autant le sucre.
Puis j’ai écouté un charmant souvenir de goût que j’ai bien envie de vous partager.
Pour vous mettre en contexte, mon papa vivait en-haut de chez sa grand-mère en 1941 à Saint-Honoré-de-Chicoutimi avec les parents, la marmaille et 25 vaches. En période de guerre, le sucre était rationné, c’est-à-dire que le gouvernement faisait parvenir des coupons à la population afin qu’elle puisse s’approvisionner de ce bien précieux.
« Dans l’étable, la crème remontait à la surface du lait frais dans les cruchons. Tu savais ça qu’il y avait de la crème dans le lait? » Oui papa! « Ma mère faisait cuire le pain et un matin sur sept, c’était le tour d’un enfant de manger une tranche de pain trempée des deux bords dans la crème. On mettait de la cassonade dessus. Ah que c’était bon! Mais un matin, quelqu’un a pris ma part par erreur. J’ai tellement pleuré… j’étais petit… j’avais juste 6 ans ».
Ce goût pour la « beurrée de crème » existe depuis 73 ans, c’est long! Pourtant, ce souvenir semble bien récent dans la mémoire de mon père. Les travaux de Paul Rozin, chercheur en psychologie de l’Université de Pennsylvanie, montrent que les comportements acquis envers la nourriture sont renforcés par le plaisir que nous procurent certains aliments. Aussi, ces souvenirs sont souvent liés au goût sucré qui est inné.
Une simple bouchée, une odeur ou de la musique peuvent nous ramener loin dans le passé. C’est comme si nos sens étaient des détecteurs de souvenirs. Ça me rappelle les ateliers d’exploration sensorielle du goût que j’ai animés auprès de participantes de recherche, lors de mon doctorat en nutrition. Les souvenirs alimentaires exprimés étaient presque toujours liés à l’enfance, puis racontés et écoutés avec le sourire.
C’est comme si nos sens étaient des détecteurs de souvenirs.
Manger, c’est pour se nourrir mais aussi pour se réunir et se faire plaisir, afin de satisfaire ses besoins biologiques, sociaux et psychologiques. Cette citation de Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français, résume ma pensée : « Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser ». Si le fait de manger sainement est une expérience agréable et que vous vous sentez bien, c’est probablement parce que vous honorez vos papilles et votre santé.
Notre alimentation n’a pas à être 100% parfaite pour nous garder en bonne santé! L’alimentation doit être perçue de façon globale : un seul aliment ne peut pas être responsable d’une carence, du maintien de la santé ou d’une prise de poids. C’est ce que l’on mange régulièrement au fil des jours, semaines, mois et années qui compte, et non le fait de manger des aliments « bons » ou « mauvais ».
Pour conclure ce billet, je cite mon papa : « Manger ce que t’aimes c’est un des plus beaux plaisirs de la vie. C’est pas sorcier! Pis tu pourras choisir des mots scientifiques pour le dire, mais moi je le dis comme ça! ». C’est compris!
Henry R. Petites histoires savoureuses des mots que l’on mange. Éditions Frison-Roche, 2000.
Une histoire savoureuse : La madeleine de Proust. Du côté de chez Swann – À la recherche du temps perdu tome 1. Marcel Proust, 1913. Merci à Marie Watiez de m’avoir fait découvrir cette histoire.
Rozin P et coll. The pleasures and memory of food and meals. In : Handbook and Behavior, Food and Nutrition. Springer, 2011.